– Damien Saez (ici en 2019) a fait son retour le 9 décembre dernier avec «Telegram», un mini-album de cinq chansons inspirées par l’invasion de l’Ukraine. LP/Yann Foreix
Le rockeur remonte sur scène ce jeudi 29 décembre au Zénith de Paris, trois ans après son dernier concert. Il y enregistrera en direct son nouvel album, «Mélancolie», avant deux nouveaux disques prévus en 2023. Sa parole se fait de plus en plus rare et… cash.
Notre dernière discussion avec Damien Saez remonte à trois ans et avait eu lieu en visioconférence… Il innovait sans le savoir, trois mois avant l’arrivée du Covid-19 et la généralisation de ce mode de communication… Le chanteur, auteur et compositeur de 45 ans venait d’annuler les trois ultimes dates de sa tournée « pour raisons de santé ». Entre deux hospitalisations, le 3 décembre 2019, il avait tenu à assurer son premier Bercy devant une salle pleine, mais avait dû jeter l’éponge une semaine plus tard. Il nous avait alors parlé de « soucis à la tête, qui seraient liés à des vertiges et à l’oreille interne », mais n’avait pas encore de diagnostic précis.
L’auteur de « Jeune et con » a fait son retour le 9 décembre dernier avec « Telegram » — du nom de la messagerie instantanée sur les téléphones mobiles —, un mini-album de cinq chansons inspirées par l’invasion de l’Ukraine. On l’a retrouvé une semaine plus tard dans sa maison de disques, Wagram Music, avec des… béquilles. L’artiste s’était abîmé les ligaments de la jambe, mais espérait remonter sur scène sans leur aide ce jeudi 29 décembre au Zénith de Paris pour enregistrer en direct son nouvel album, « Mélancolie ».
– Vous serez ce jeudi au Zénith de Paris pour enregistrer un double album inédit. C’est-à-dire ?
DAMIEN SAEZ. Ce sera acoustique, assis, en guitare-voix. La plus grosse partie, ce sont des nouvelles chansons. Mais je ne sais pas combien. Cela dépendra des répétitions, qui sont perturbées par mes problèmes à la jambe. De « Telegram », je ne chanterai qu’un titre. Et puis le 1er juillet 2023, on fera un autre double album dans les Arènes de Nîmes avec un grand orchestre. En 2023, il y aura aussi un nouvel album studio, je pense en mars, disponible en NFT (œuvre d’art numérique). Ensuite, il y aura une tournée de Zénith en novembre et décembre.
– Les prix des places, vendues avec le nouveau double album, un recueil de vos textes et un abonnement à votre site, est à 116 euros !
Je suis d’accord, c’est cher ! Mais on vendra des places seules au dernier moment… Et vous savez combien coûte la location du Zénith, combien je paye les musiciens d’un grand orchestre ? Jouer aux arènes de Nîmes avec un orchestre, c’est plusieurs centaines de milliers d’euros ! Le Zénith de Paris et la sécu, c’est pas 20 000 euros ! C’est dix fois plus ! Ma vie, c’est en studio et sur scène. C’est du cousu main, de l’artisanat, et ça a un coût.
– Vous avez créé un site payant (culturecontreculture.fr) pour partager votre musique avec vos fans. Est-il viable ?
La musique, aujourd’hui avec le streaming payant, est viable sur six ans. Les ventes de disques ont chuté, si j’en vends 15 000, c’est bien. Je suis endetté… Je ne fais que rembourser des dettes depuis quinze ans. Je n’ai pas les moyens de vivre à Paris, mais je n’ai pas baissé pour autant le salaire de l’ingénieur du son et des musiciens avec qui j’ai la chance de travailler. Ce n’est pas une complainte, c’est un fait.
– Et pourtant vous proposez aux acheteurs de votre nouveau CD de les rembourser. Pourquoi ?
L’idée est de laisser aux gens le choix de reverser l’argent (15,99 euros) en faveur de l’Ukraine ou pour les aider à payer leur facture, car c’est quand même pas la joie dans le pays. Je voulais aider sans être dictatorial. Ce n’est pas Robin des Bois, tout le monde prend sa commission, sauf moi. J’ai fait ce disque en studio, j’ai joué tous les instruments, donc ça va financièrement. J’utilise le système des NFT, qui pour moi est l’avenir de l’Internet. Je n’ai pas besoin d’argent pour faire l’œuvre mais l’œuvre est à vendre. Et comme pour un tableau, l’acheteur est un de ses possesseurs. Avec le NFT/Blockchain, on peut avoir un lien direct avec les gens mais aussi tracer les informations et donc combattre les fake news.
– Comment sont nées ces chansons sur l’Ukraine ?
Je les ai écrites et composées de façon assez limpide, il y a six ou sept mois, après que la guerre a éclaté. Mais je pense qu’il est mieux de les sortir maintenant que l’émotion est moindre alors que ce qu’il se passe n’est pas moindre.
– Connaissez-vous l’Ukraine ?
Je n’y ai jamais chanté mais je connais des gens d’Ukraine et de Russie. Mais faut-il connaître pour écrire ? C’est terrible et c’est à 2 000 km d’ici. Je vais dire un truc horrible, mais nous, on n’a pas l’odeur de la guerre…
**– Les femmes dont vous parlez dans « Ievguenia » et « Telegram » existent-elles ?
Oui. Ievguenia, je l’ai connue il y a plus de vingt ans. Mais contrairement à ce que je chante, elle n’est pas décédée. Quant à Natalia (à qui il s’adresse dans une histoire d’amour née sur « Telegram »), on s’arrête là (il éclate de rire). Cette chanson m’a fait plaisir en tout cas. J’ai presque retrouvé une ancienne façon d’écrire, simple et imagé.
– Est-ce que ça vous donne envie d’aller jouer en Ukraine ?
Ah je pourrais ! C’est pas une mauvaise idée, d’ailleurs !
– Qu’avez-vous fait depuis trois ans ?
Bossé, écrire des chansons, beaucoup… Je suis tellement casanier, le confinement n’a rien changé à ma vie. Les gens ont découvert comment je vis, enfermé en studio ou dans ma grotte. Aujourd’hui, je vis entre la montagne et la Touraine.
– Il y a trois ans, vous nous aviez dit que vous alliez vous reprendre en main côté santé. L’avez-vous fait ?
Un petit peu, oui, ça va mieux. Mais quand on s’était parlé, en décembre 2019, j’avais en fait le Covid. Avant qu’il ne se déclare en février partout. J’ai eu une fin de tournée catastrophique, parce qu’il a tourné en pneumonie. Deux mois après, j’étais encore essoufflé, avec un peu d’asthme sur les sept-huit mois qui ont suivi. J’ai rechopé le Covid plusieurs fois.
– Vous vous êtes fait vacciner ?
Non. Je n’y serais pas allé mais en plus je l’ai chopé tout de suite. Vaccin ou pas, le pouvoir a séparé les gens. Leur manque d’honnêteté et leur entêtement ont fissuré la société. On a volé leurs 18 ans aux jeunes ! Quand on se prétend pays de la santé, quand on paye tant d’impôts, on doit être à la pointe, avoir des masques…
Mais je peux pointer du doigt cette même jeunesse qui bronche plus vite pour George Floyd (symbole des violences policières aux États-Unis) que pour l’état de nos hôpitaux, qui a la tête tout le temps dans son téléphone. Ce monde est pire qu’avant, c’est l’enfer ! C’est dingue ce qu’on accepte ! Le terme « influenceur », par exemple… Être influençable, c’est notre lot commun ? On est vraiment pathologiquement chelou. Et je me mets évidemment dans le lot.
– Le rôle d’un artiste a-t-il changé ?
Qui ? Les artistes qui reversent leurs droits YouTube pour une œuvre caritative ? Ils donnent 12 euros, c’est terrible ! Pour moi, il n’y a plus d’artiste… 99,9 % ne sont là que pour vendre des téléphones ou des streams (écoutes de chansons sur Internet) ! J’essaye de mettre mes petites traces sur du papier pour raconter… « Fils de France », « J’accuse », « Il faut du gasoil dans la bagnole », qui est toujours d’actualité. Depuis plus de vingt-cinq ans, je n’ai pas ménagé ma peine, mais j’ai de la chance de continuer sans avoir à twerker à la télé.